• Les Svanes de Géorgie

    Les svanes, peuple montagnard chrétien orthodoxe du nord-ouest de la Géorgie et estimés à environ 30 000 personnes, sont essentiellement installés dans la région de la Svanétie, zone montagneuse du sud-Caucase, composée de vallée profondes et verdoyantes, qui, entourées de hauts-sommets de 4000 et 5000 mètres, peut faire penser aux Alpes du nord.

    Située à un point stratégique entre l'Occident et l'Orient, la Géorgie a été fréquemment envahie par ses grands voisins, tels que l'Iran, la Turquie ou la Russie. Cependant, la Svanétie a de tout temps été un refuge sûr contre l'envahisseur – les centaines de tours de défenses présentes dans toute la région en témoignent – et abrite les plus grands trésors du Caucase. Il est même dit, qu'en dehors des Russes au XVIIIe siècle, elle n'aurait été occupée qu'une seule année par les Mongols...

     Bien qu'étant un sous-groupe ethnique des kartvéliens, c'est-à-dire des géorgiens, les svanes ont néanmoins une identité propre d'un point de vue linguistique, religieux et social.

    Leur langue, le svane, s'est séparée au deuxième millénaire avant J.C de la famille des langues kartvéliennes (qui comprend le géorgien, le migrélien et le laze). Du fait de ses voyelles très spéciales, cette langue non-écrite est quasiment imprononçable pour un non-svane et son détachement ancestrale avec les autres langues kartvéliennes la rend incompréhensible pour les géorgiens.

    D'un point vue religieux, leurs traditions sont empruntes de rites païens pré-chrétiens, que l'importante Église orthodoxe géorgienne – la Géorgie étant l'un des premiers territoires à avoir adopté le christianisme comme religion officielle  – a vainement tenté d'éradiquer. Les svanes pratiquent notamment le culte des ancêtres (ils considèrent que les morts continuent de vivre parmi les vivants), qui se manifeste par exemple lors de la fête de Lamproba, célébrée mi-février et au cours de laquelle chaque famille fait un feu au pied des tombes de ses aïeux tout en buvant à leur santé. En attendant, les svanes sont très pieux comme la plupart des géorgiens, et la Svanétie regorge de précieuses icônes jalousement protégées pendant des siècles (leur vol ayant été pendant longtemps puni de mort) ainsi que de nombreuses petites Églises, les plus anciennes datant du VIe et VIIe siècle, dédiées à diverses  figures religieuses, comme Saint George ou l'Archange Gabriel.

    Enfin, alors même que depuis 2004 le gouvernement Saakashvili a imposé le modèle d'administration géorgien et éradiqué le crime organisé qui gangrenait la région depuis la chute communisme et la crise économique qui a suivit, il n'en reste pas moins que les svanes conservent une organisation sociale et politique spécifique. La survivance d'un conseil des anciens pour régler certaines affaires courantes, de procédures particulières pour le règlement des conflits (notamment le fait de prêter serment sur une icône pour mettre fin à un litige) et la grande importance de la moralité et de l'honneur (pouvant conduire à des vendettas entre familles), en sont les principales manifestations.

    Cette région nous semblait donc bien mystérieuse et nous souhaitions capter des bribes de cette richesse culturelle et religieuse... (ci-dessous, la face sud du Mont Ushba, l'une des montagnes les plus difficile du caucase).

     

    Les Svanes

     

    Nous sommes partis en stop de Trabzon le vendredi 29 mars et, après avoir traversé la frontière à pied, nous étions sur le sol géorgien dans la soirée. Après une nuit au bord de la mer noire dans une maison en construction à deux pas de la frontière et une traversée éclaire de la Géorgie en stop puis en bus, nous avons atteint la capitale de la Haute-Svanétie (Zemo Svaneti), Mestia, le samedi en fin de journée.

    Notre immersion en Svanétie a été lente et progressive : après quelques jours à Mestia, nous avons évolué à pied de villages en villages du 2 au 11 avril, passant par Artskheli, Cholashi, Tsvirmi, Yeli, et Adishi (voir carte ci-dessous).

     Les Svanes: enclavement chez un peuple fort

     

    Alors même que les Svanes ont une forte tradition d'hospitalité (comme les géorgiens de manière générale), il n'en reste pas moins qu'ils sont plutôt fiers et distants aux premiers abords et qu'il n'a pas été facile de briser la glace. Lorsque nous avons pris nos quartiers dans la ville de Mestia afin de préparer notre immersion, le contraste avec la Turquie fut saisissant (ceci d'autant plus qu'il fut difficile pour nous de la quitter par le Nord plutôt que de continuer à l'Est en direction de l'Iran) et nos trois jours passés dans cette ville ne furent pas des plus faciles.

    En effet, en dehors de notre hôte Louara (très sympathique mais ne parlant pas anglais), personne ne nous aborda lors de nos balades dans ce gros village. Et ce n'est pas l'atmosphère générale de ce dernier qui nous a aida nous sentir mieux, son centre était rempli de bâtiments neufs (de bois et de pierres, comme dans nos stations alpines) mais inoccupés, et les grandes rues pavées étaient la plupart du temps désertes... Nous sommes partis de Mestia sans aucun contact, et avec simplement le mot gamarjobat (bonjour en géorgien) en poche.

     

    Les Svanes

     

    Mais progressivement, de villages en villages, les choses se débloquèrent. Les nouveaux mots de svane et de géorgien appris au fil des rencontres nous permirent d'aborder plus sereinement les gens, de mieux nous imprégner de leur mode de fonctionnement, pour finalement être à l'aise parmi eux et intégrés à leurs vie quotidienne. Finalement, une fois expliqué le fait que nous connaissions telle ou telle famille, les choses s’emboîtaient, les gens nous considéraient et nous écoutaient. Nous avons été étonnés du degré de connaissance d'une famille sur l'autre alors même que les villages sont parfois à plusieurs heures de piste de distance... Cela est probablement dû à leur organisation sociale, les représentants de familles importantes se rencontrant à l'occasion des conseils.

     Nous avons donc pu vivre avec des familles dans leurs cuisines (où tout se passe) à côté du poêle (source de chaleur et cuisinière), avec la télévision allumée et souvent branchée sur une chaîne musicale, nous, lisant ou triant nos photos, le père buvant de la tchatcha (la gnôle locale) avec des convives, la fille étudiant, le fils jouant aux échecs avec un voisin, la mère préparant du khatchapuri (pain traditionnel au fromage) et la tante lui faisant la conversation. La communication n'était pas toujours évidente, celle-ci se faisant grâce à notre mince vocabulaire et au travers de grands gestes (même si souvent les jeunes filles, studieuses à l'école, parlant un peu anglais nous permettait de débloquer certaines situations). 

     

    Les Svanes

     

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    Un point important de notre séjour en Svanétie fut notre immersion dans le rite orthodoxe géorgien. En effet, entre les icônes se trouvant dans toutes les maisons et les églises vieilles de plusieurs siècles présentes dans chaque village, la religion est omniprésente dans ces montagnes et nous savions qu'elle serait un thème important de notre séjour en Svanétie.

     

    Les Svanes

     

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    Nous sommes notamment partis de Tsvirmi à pieds par les sentiers, avec un prêtre et toute sa petite troupe (un aide pour la messe, un chœur de jeune femme, et trois jeunes de Tbilissi en retraite spirituelle), afin que celui-ci célèbre l'office de Pâques à Yeli, le village d'à côté. Ayant passé un jour dans ce dernier, nous avons pu partager l'ambiance spirituelle entourant le quotidien du prêtre et de sa communauté: les messes dans une petite Église datant du Moyen-Age, avec cette forte odeur d'encens, les chants de jeunes femmes, et les bandes de lumière passant à travers les lucarnes ; et les repas, pris pratiquement en silence sur une grande table, couverte de plats délicieux sans produits d'origine animale (en raison de Pâques), avec une prière en début et en fin de repas.

     

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     Pour finir, nous nous sommes rendus à pieds à Adishi, l'un des villages les plus hauts de la région se trouvant à 2200 mètres, et encore coupé du monde au mois d'avril du fait de la neige et des glissements de terrain. Le tableau fut quelque peu différent (mais non moins intéressant) durant nos deux jours passés là-haut, les nombreuses tours et maisons en ruines témoignant du fait que le village se vide de plus en plus de sa population – 12 familles y vivent aujourd'hui, alors qu'elles étaient plus de 100 dans les années 80 – et notre hôte, Mukhlane subissant l'enclavement extrême de son village, celui-ci ne pouvant pas faire parvenir de l'argent à la banque à Mestia pour payer les frais de soins de sa femme, hospitalisée à Tbilissi.

     

    Les Svanes

     

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    Les Svanes

     

    Les Svanes

     

    Ainsi, contrairement à d'autres peuples de Géorgie (les Abkhazes et les Ossètes), les Svanes, bien qu'ayant certaines spécificités linguistiques et religieuses, ont réussi à maintenir leur identité culturelle sans séparation ou conflit. Leur région reste, dans les esprits, une province historique de la Géorgie et les géorgiens en retirent une grande fierté.

    Dès lors, malgré l'enclavement des Svanes, nous n'avons pas ressenti ce sentiment d'oppression et d'enfermement constaté chez les Gorani. Au lieu d’entraîner un déclin de leur culture, cette situation géographique semble avoir favorisé la survivance de la richesse de leur patrimoine culturel. La Haute-Svanétie incarne donc parfaitement l'idée de « montagne zone refuge », et ceci pas seulement pour ses habitants, mais pour toute une culture.

    Même si la barrière de la langue a pu jouer (dès lors que les anciens parlent le russe, une langue que nous ne connaissons pas, et non l'anglais), ils sont peu loquaces sur toutes les questions qui touchent à leur organisation et aux problèmes entre familles, qu'ils règlent le plus souvent entre eux, selon leurs propres règles, sans s'adresser aux autorités de l'Etat. Si la région est de plus en plus touristique et que l'aide financière du gouvernement et des investisseurs étrangers est de manière générale bien accueillie par la population, il nous semble que leurs spécificités perdureront encore longtemps...

     

     

     

     

     

     


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