• A notre arrivée au Kirghizistan mi-juillet par le col de Kyzyl-Art, les grandes vallées herbeuses entrecoupées de rivières d'eau claire, les troupeaux de chevaux en liberté, les hommes faisant les foins à la faux et les yourtes blanches de semi-nomades vendant leurs produits sur le bord de la route nous firent l'effet d'une bouffée d'air frais tranchant avec la rudesse du désert Pamiri.

     

    Nous entrions alors dans le monde des kirghizes, ce peuple turcique de nomades à cheval originaire – au même titre que les mongols, les turkmènes ou les kazakhs – du bassin du Ienisseï en Sibérie, où le cheval a été domestiqué au IIIe ou au IVe av. JC.

     

    Ayant migré vers les montagnes qui jonchent l'actuel Kirghizistan au Xe siècle sous la pression des raids mongols, les kirghizes ont conservé leur mode de vie nomade au gré des passages des grands conquérants, tels que Tamerlan ou Gengis Khan, jusqu'en 1876 et l'arrivée de l'Empire russe dans la région, qui bouleversa le destin des tribus kirghizes en modifiant progressivement leur mode de vie ancestral.

     

    Ce processus commença sous l'administration du Tsar lorsque de nombreux colons russes et ukrainiens migrèrent vers la Kirghizie, important un mode de vie sédentaire jusqu'alors inconnu des tribus de nomades. De nombreuses villes, telles que Naryn ou Talas, furent fondées, et l'agriculture fut développée dans les vallées auparavant utilisées par les nomades comme pâtures d'hiver, poussant alors un certain nombre d'entre eux à se sédentariser.

     

    Après l'avènement du régime soviétique, ce mouvement fut accentué par les politiques de collectivisation mises en place dans les années 1930, entraînant la sédentarisation forcée des nomades. Il était alors non seulement interdit pour les familles de posséder des bêtes, mais également d'arborer l'habit traditionnel ou d'utiliser les méthodes ancestrales d'élevage. Même si certaines familles se sont opposées à ce processus, notamment en massacrant leur bétail afin qu'il ne soit pas collectivisé.

     

    Mais la RSS de Kirghizie ayant été affectée à la production de laine et de viande de mouton, les autorités soviétiques ont maintenu la pratique de la transhumance verticale – c'est-à-dire vers les pâturages d'altitude –, mécanisant la migration et créant de nombreux villages en haut des vallées pour faciliter le processus. Dès lors, même si le nomadisme avait cessé, le savoir-faire pastoral des kirghizes avait été mis à profit par l'organisation soviétique. Or à l'indépendance, pour faire face à la crise économique qui accompagnait la transition vers un modèle libéral (comme dans le reste des Ex-Républiques soviétiques), bien des familles ont décidé de se tourner vers le pastoralisme, activité peu soumise aux fluctuations des prix et qui assurait une certaine autosuffisance alimentaire.

     

    Malgré plus d'un siècle de domination Russe et de vie sédentaire, c'est un mode de vie semi-nomade qui fut adopté par de nombreuses familles, celles-ci habitant dans des maisons l'hiver, montant en été dans les djailoos, ces campements d'altitude où ils font paître leurs bêtes.

     

    Ainsi, ayant toutes ces idées en tête et alors que les pâturages et les yourtes défilaient sous nos yeux le long de la route nous menant à la capitale, nous étions forcément impatients de découvrir ce mode de vie. Cependant, après ce bon mois loin de tout entre Tadjikistan et Afghanistan, nous ne pouvions nous arrêter, ayant décidé de passer deux semaines à Bichkek, qui n'allaient pas être de trop pour débriefer, écrire, trier nos photos, faire nos demandes de visas chinois et indien et reprendre des forces.

     

    C'est donc par deux semaines dans la chaleur de Bichkek que nous avons commencé notre temps au Kirghizistan : entre sommeil, grosses bouffes, travail sur le billet et les photos, vodka et bières pressions, boîtes de nuit et hammam avec Mansour, notre ami afghano-allemand, avec qui nous aurons passé de bons moments, discussion avec voyageurs de tout poil (notamment une sacrée bande de cyclos américains), le tout dans la tranquillité du jardin de la Sabyrbek Guest House, une grande maison de famille se trouvant au centre de la ville. Nous étions entourés notamment d'Igor, le russe bien sympathique, qui faisaient quelques travaux dans la maison avec Iskander, le neveu de Sabyrkek, de la fille de Sabyrbek, Denisa, d'Astan, le fils de la femme qui tenait le petit commerce du coin, du petit chat recueilli bon gré mal gré, d'un écureuil, de plants de marijuana. Nous nous sentions biens. 

    C'est d'ailleurs au travers de cette vie assez douce et quelque peu occidentalisée que nous avons pu prendre la mesure d'un Bichkek russifié, rendant difficile de l'imaginer comme la capitale d'un pays de pasteurs-nomades. A titre d'exemple, ses habitants parlent bien plus russe, « la langue de la civilisation », que le kirghiz, à tel point que lorsque l'on demandait un mot en langue kirghize à Sabyrbek, il avait souvent besoin d'un moment de réflexion pour nous répondre. De même, un kirghiz de Bichkek nous a dit au détour d'une conversation, lorsque nous lui expliquions notre envie d'aller découvrir l'atmosphère de la vie sous la yourte, que les gens vivant dans les jailoos étaient des « indiens », et que nous devrions plutôt aller nous détendre du côté de Cholpon Alta, ville de la rive nord du lac Issy Kül, où les riches russes, kirghizes et kazakhs viennent profiter de la plage et des boîtes de nuit.

    Ayant déjà traversé cinq ex-républiques soviétiques – la Géorgie, l'Arménie, le Turkménistan, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan – où nous avions ressenti la prégnance de l'héritage soviétique, nous nous attendions effectivement à le ressentir aussi au Kirghizstan. Cela d'autant plus que ce dernier été l'une des ex-République Socialiste Soviétique (RSS) les plus proches de Moscou et le reste encore aujourd'hui. Au moment de la chute du système soviétique, tant la population que les élites kirghizes ne souhaitaient pas l'indépendance – à la différence de la Géorgie et l'Arménie où des mouvements nationalistes étaient nés bien avant les années 1990. Et même si nous savions que l'empreinte russe n'a pas la même force dans tout le pays – les gens du nord (c'est à dire de Bichkek et de la vallée de Chui) – étant particulièrement russifiés, alors que les habitants du sud sont à la fois plus musulmans et plus proche de l'Ouzbékistan –, il est apparu clair que le Kirghizistan reste économiquement et politiquement très lié à la Russie, où d'ailleurs de nombreux jeunes y partent encore étudier ou travailler.

     

    Le Kirghizistan

    La yourte de jardin, Davin, un russe de passage et Jon Paul

     

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    Astan

     

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    Mansour

     

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    Serveurs bravant la tempête

     

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    Partie d'échecs au Osh Bazaar de Bichkek

     

    L'arrivée de proches le 1er août sonna le glas de notre vie dans cette ville un peu étrange qu'est Bichkek et à partir de cette date, nous entrâmes pour trois bonnes semaines dans le monde des montagnes kirghizes, qui couvrent 93% du territoire. Pour la première fois depuis notre départ en février, nous accueillions des proches dans notre petit monde, un couple de parents et un couple d'amis. Ce mois et demi passé au Kirghizistan fut donc un moment particulier de notre voyage : nous aurons découvert un peuple et explorer un pays non plus au travers de deux mais de six regards ! 

     

    Durant ce temps, nous avons parcourus trois zones différentes : d'abord, au sud, le Kichik Alaï, massif faisant face au Pamir Alaï, dans lequel se trouve le célèbre Pic Lénine qui culmine à 7134 mètres ; ensuite, au centre du pays, le haut plateau sur lequel se trouve le lac Söng Kul, immense zone de pâtures à 3000 mètres ; et enfin, toujours au centre, mais plus au sud, le massif d'At Bachy (dans le Tien Shan central) au delà duquel se trouve la reculée vallée d'Ak Saï.

     

    La première zone (parcourue les parents) et la dernière zone (parcourue avec les amis) furent choisies pour leur faible fréquentation dans ce paradis du trek qu'est le Kirghizistan, des permis spéciaux étant requis du fait de la proximité des frontières (même si dans le Kichik Alaï, aucun contrôle n'est effectué). Le lac Söng kul, endroit unique par sa beauté mais un peu plus touristique, fut l'occasion de passer cinq jours à cheval au bord du lac et dans les vallées alentours.

     

    Ce séjour se termina par un peu de repos du côté du lac Issyk Kül, entre un « Yurt camp » pas loin de Bokonbaev, au bord du lac, et la ville de Karakol, très cosmopolite, avec son bazar vivant où l'on peut manger aussi bien des nouilles dounganes, que des samsés kirghizes ou des glaces italiennes. Puis, pour finir, par la fête de l'indépendance à l'hippodrome de Bichkek, le 31 août, où se déroulait un tournoi de Buzkashi, le sport national (mais populaire dans toute l'Asie Centrale), sorte de polo dans lequel les équipes, montées à cheval, se disputent un cadavre décapité de chèvre. Ce sport – que nous avons aussi eu l'occasion de découvrir au bord du lac Söng Kul – demande un engagement impressionnant de la part des joueurs, et ce fut une expérience assez puissante que d'assister à une partie où nous avions pour seule barricade un maigre cordon de policier, la poussière s'échappant du terrain, le tout au milieu d'une foule de kirghizes survoltés !

     

    Le Kirghizistan

     

    Dans les hauteurs Kirghizes, il fut agréable de parcourir un peu les montagnes pour les montagnes, et non plus seulement pour les gens. Ainsi, que ce soit à pied avec nos gros sacs, ou sur le dos d'un cheval, nous avons pu véritablement apprécier la variété et la beauté des paysages du Kirghizistan, dans lesquels peuvent s'enchaîner, d'une vallée ou d'un col à l'autre, forêt de pins, végétation semi-aride, steppe verdoyante, et moraine glacière. Agréable aussi, fut de planter notre tente tous les soirs et de faire nos popotes en pleine nature, perdus dans la grandeur de montagnes sauvages et peu explorés.


    Le Kirghizistan

    Kichik Alaï

     

    Le Kirghizistan

     

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    Col à 4200 mètres

     

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    Edelweiss

     

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    En allant vers Song Kol

     

    Le Kirghizistan

     

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    Le lac Song Kol

     

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    Départ pour Ak Saï

     

    Le Kirghizistan

     

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    Col à 4050 mètres

     

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    Vue sur la vallée d'Ak Saï, la Chine en fond, derrière les montganes

     

    Le Kirghizistan

     

    Après, forcément, nos périples montagnards se finissaient toujours à proximité des yourtes, car l'âme des montagnes kirghizes se trouve dans les djailoos qui ne sont jamais bien loin, l'hospitalité kirghize nous permettant de nous immiscer dans l'atmosphère chaleureuse de la yourte, espace feutré et accueillant, où tout un petit monde rentre sans encombre, et que l'on bénie lorsque la pluie et le vent s'abattent sur les hauts-plateaux.

     

    Sous la yourte, alors que les personnes présentes sont assises sur des shydraks colorés (tapis en feutre traditionnel), la table centrale est la plupart du temps garnie de kaïmak (crème fraîche), de beurre, de pain frais et de confiture d'abricot, le tout agrémenté de thé noir, que la maîtresse de maison sort à la demande d'un samovar fumant. La tasse n'est jamais trop remplie afin que l'invité puisse rapidement boire son thé et en redemander, témoignage de l'abondance du foyer. Souvent, est aussi proposé le koumiz, du lait fermenté de jument, boisson légèrement alcoolisée et fierté nationale, qu'il est impossible de refuser, et qu'on prend un certain plaisir à boire une fois accoutumé à son goût spécial. Le voyageur peut également être sûr qu'au moment du départ, il se verra offrir quelques morceaux de kurut, ce fromage sec et salé qui se conserve très bien, et qui l'accompagnera pour le reste de son voyage!

     

    Ainsi, c'est très souvent en famille que l'on passe l'été en djailoo, trois générations pouvant se retrouver dans la même yourte, cette proximité permettant notamment de transmettre aux plus jeunes le respect des anciens, l'un des principes cardinal de la société kirghize. Les aînés ne doivent d'ailleurs pas être appelés par leur prénom, mais Egé, c'est-à-dire Grande sœur, pour les femmes et Baïké, ou Grand frère, pour les hommes.

     

    Ce temps passé avec les siens dans l'espace confiné de la yourte permet à toute la famille d'échanger autour des tâches quotidiennes qu'exigent la vie sur les hauts-pâturages mais peut parfois aussi provoquer certaines tensions entre les membres de la famille, notamment lorsqu'ils accueillent inopinément le voyageur pour un temps. Le jeune fils, n'ayant par exemple pas envie d'aller surveiller le troupeau dans la tempête, entraînant la colère de la mère, celle-ci étant accentuée par la relative inaction du père. Après, la famille n'est pas toujours au complet, et il fut drôle de passer une soirée dans une yourte occupée par trois jeunes étudiantes accompagnées de leurs petits frères et soeurs qui, ayant laissé leurs parents au village, passaient l'été en djailoo pour s'occuper de la production des produits laitiers alors que les hommes s'occupaient du troupeau, avant de reprendre les cours à la rentrée en septembre.

     

    Comme toujours, la vie de nomade de montagne impressionne par sa rudesse, les djailoos se trouvant souvent au dessus de 3000 mètres – où les terres ne peuvent être cultivées et où les pâtures sont abondantes –, rendant le climat froid et le mauvais temps, qui n'est pas rare dans les montagnes kirghizes, particulièrement acéré. Cette dureté est également liée au travail avec les bêtes qui, de la traite à la garde du troupeau, font l'objet de toutes les attentions, en ce qu'elles représentent l'ensemble du capital familial. A ce titre le loup, assez présent au Kirghizistan et ennemi éternel des bergers, est chassé tant pour sa peau qu'en simples représailles à un carnage dans un troupeau... Nous aurons assisté par exemple à la recompte des moutons par des bergers suite à une attaque nocturne d'un loup dans le Kitchik Alaï, ou pu voir un louveteau gardé en captivité par une famille, qui servira à entraîner les chiens (des lévriers Taïgan) à la chasse au loup dans la vallée d'Ak-Saï.

     

    D'ailleurs, les kirghizes entretiennent un lien particulier avec leurs animaux, même si celui-ci est plus pragmatique et utilitaire qu'affectueux. Le cheval, conformément à leurs racines de nomades à cheval, matérialise bien ce lien, celui-ci étant partout présent en montagne, que se soit pour se déplacer (les kirghizes ne marchent jamais), garder le troupeau, chasser ou produire le fameux koumis... D'ailleurs, nous avons souvent été stupéfaits lorsque, après un ou deux jours de marche sans voir personne, apparaissait un cavalier solitaire, jumelles ou fusil en bandoulière, nous indiquant l'emplacement et le nom du prochain djailoo. Nos cinq jours à cheval nous donnèrent l'occasion de nous « kirghisifier » un peu en montant ces bêtes trapus et particulièrement bien dressées (au grand plaisir d'Adrien qui avait une expérience plutôt limitée en la matière). Les galops dans la tempête sur les bords du lac Song Kül resteront à coup sûr un souvenir puissant de cette escapade.

     

    La scène de l'égorgement et de la préparation d'un mouton permet également de très bien se représenter ce lien : la bête est tuée par les hommes, mais à la main et avec un calme impressionnant ; ensuite, elle est dépecée entièrement et une fois les organes vidés, nettoyés et tressés par les femmes, toutes les parties de son corps (exceptée ses sabots et sa tête) sont cuisinées. De ce processus, se dégage une maîtrise et une tranquillité témoignant d'un profond respect pour l'animal exécuté, l'homme ayant conscience que son destin est profondément lié à celui de la bête.

     

    Tuer un animal est alors l'occasion pour la famille, les amis et les voisins de se retrouver, et souvent de déguster un bech-barmak, le plat national kirghize, composé de trois phases gustatives : le bouillon, les morceaux, puis les nouilles à la viande. Il existe même une petite variante où le bouillon est mélangé à du koumis et que l'on nous a servi le dernier soir dans la vallée d'Ak Saï : expérience plutôt intense pour les papilles !

     

    Assister à l'égorgement du mouton dans le sud à Sary Tash pour la fête de l'Aïd al-Fitr, qui marque la fin du Ramadan, fut d'ailleurs un moment particulier. Les choses semblaient être un mélange de religiosité et d'habitude, une courte prière ayant été prononcée cigarettes au bec avant l'égorgement de la bête et le repas du lendemain ayant probablement été agrémenté de quelques toast à la vodka. L'islam est en effet assez diffus au Kirghizistan, la conversion assez tardive des tribus kirghizes opérée par des mouvements soufis et le long passage du communisme y étant sûrement pour quelque chose. Après, le chamanisme, qui provient des racines sibérienne des kirghizes, est aussi présent dans le pays et son influence se remarque notamment dans certains cimetières (comme celui de Sary Tash), où des tombes arborent des queux de yaks pour faire fuir les mauvais esprits.


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    Sheirali et son fils au Dam djailoo dans le Kichik Alaï

     

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    Cabane de berger à plus de 4000 mètres

     

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    Enfants à Kachka Suu djailoo

     

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    Kachka Suu djailoo

     

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    Cuisson du pain

     

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    Prière avant l'égorgement des bêtes pour l'Aïd al-Fitr, Sary Tach

     

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    Préparation des "borsuk" (beignets) pour la fin du Ramadan

     

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    Yourte usée, d'où émanait des champs chamaniques

     

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    Jeunes bergers à proximité de Song Kol

     

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    Samovar

     

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    Partie de Buzkachi à Song Kol

     

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    Ak Saï

     

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    Peau de loup, pouvant se vendre jusqu'à 1200 dollars à Bichkek

     

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    La petite reine du foyer

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    Elmira, femme de Marsat, qui prépare le pain

     

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     Tressage des intestins avant un bech barmak

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     Dîner convivial sous la yourte

     Sur ce voici quelques vers écrits par Antoine, alors que nous campions dans le mauvais temps à proximité de la yourte d'Elmira et de Marsat, famille de bergers de la vallée d'Ak Saï, juste avant la frontière chinoise.

     

     

    Ferghana kirghiz, le long de la rivière Naryn Suu, dans les contreforts de l'Ak-Saï, au cœur des Tian Shan,

    Sous la neige des hauts cols, dans le vent régulier des hauts plateaux, sur l'herbe jaune des pâturages d'été,

    Ming koï, dirma at, près d'une yourte blanche couverte de Shyrdac et de feutre immaculé,

    Et une famille kirghize, bech bala, bir kiz, petite reine du foyer, khanicha de la vallée,

    Attendent le voyageur.

    Au rythme du kumiss, sous le regard des vautours et des loups, puissants khareich kheiir, dans la vapeur opaque du tchaï karandaï et la tutun du génévrier qui purifient l'atmosphère, et la semi-obscurité de lumière laiteuse qui se déverse du toit,

    Imperturbable et fière, d'une dignité teintée de dédain, la femme kirghize accueille le voyageur imprévu comme une bénédiction et lui apprend l'humilité ; recevoir sans attente, partager sans pitié, ni prétexte d'abondance.

    L'existence est ainsi faite, revêche, rude, et râpeuse, mais pure, limpide, et simple, que les peuples de montagne traverseront les temps, à peine érodés par les chaos de l'humanité, dans l'intemporalité de la vie nomade.

     

     

     

    Au final, même si la Russie a bouleversé le mode de vie des tribus kirghizes durant plus d'un siècle, reste que ceux à qui nous avons posé la question regrettent l'époque soviétique, qui était pour eux synonyme d'un emploi pour tous et d'une éducation de qualité. Le retour au mode de vie semi-nomade, s'il permet aux familles de mener une vie saine rythmée par la nature et les animaux – et notamment un peu à l'écart de la vodka qui fait des ravages en ville et dans certains villages – est surtout une question d'autosuffisance pour elles, dans un pays où l'industrie est quasi inexistante et l'agriculture cantonnée à des espaces restreints.

     

    En attendant, si les kirghizes vivant en djailoo semblent détachés du discours nationaliste ambiant, il s'avère qu'au moment de l'indépendance et de la volonté d'affirmation d'une identité nationale kirghize par le nouveau pouvoir, les symboles du nomadisme ont été fortement mis à contribution, le tunduk (l'ouverture circulaire se trouvant au sommet de la yourte) ayant notamment été désigné comme symbole national.

     

    Certains mettent d'ailleurs en avant le fait que le développement de l'éco-tourisme centré sur la yourte et les familles de nomades sur fond de prairie verdoyante et de sommets enneigés, participeraient à la kirghizification de la société, seuls les symboles de l'ethnie kirghize étant mis en avant dans les brochures, alors que celle ci est en réalité très diverse, des russes, des ouzbèkes, des dounganes, des kurdes, et même des allemands vivant dans le pays...

     

    La minorité slave du Kirghizistan (qui représente de nos jours 12% de la population) a d'ailleurs souffert de l'affirmation d'une identité kirghize basée sur l'ethnie, et beaucoup ont migré vers la Russie lorsque le pouvoir de la période post-indépendance a adopté une politique linguistique offensive visant à imposer la langue kirghize comme unique langue officielle (la question de la langue officielle du pays n'ayant toujours pas été réglée à l'heure actuelle et le russe servant toujours de langue de communication inter-minorités).

     

    Mais cette exacerbation du sentiment identitaire au Kirghizistan semble surtout s'être retournée contre la minorité ouzbèke, comme en témoigne les confrontations ethniques qui ont dégénéré à Osh et Djalalabad en massacres contre celle-ci, entraînant plus de 2000 morts. Les tensions entre les deux ethnies, notamment sur les questions entourant la riche vallée de Ferghana, sont toujours palpables.

     

    Ainsi, si la « machine à fabriquer des nations » que fut l'URSS ne semble pas avoir profondément remise en cause l'héritage nomade des kirghizes, elle a laissé la place à des politiques tentant de créer un sentiment national basée davantage sur l'ethnie majoritaire que l'appartenance à des valeurs communes à toutes les « nationalités ».

     

    Le Kirghizistan

    Spectateurs le jour de la fête de l'indépendance

     

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    Policier kirghiz, policier russe

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    Pari sur des jeunes jockeys montant à cru

     

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    Buzkashi

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    Petite confusion après que les joueurs de la partie de Buzkachi soient entrés inopinément dans la foule

     

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    La suite en Chine à venir...

     


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