• Les Kachkaïs (ou Qashqaïs) sont un peuple de pasteur-nomades turciques d'environ 1.5 millions de personnes, établit au centre de l'Iran – principalement dans la région de Fars – dans une zone qui s'étend du Golf Persique au sud au massif du Zagros au nord. Les migrations de ces populations en Perse auraient commencé aux XIe et XIIe siècle, et se sont étendus jusqu'au XIXe. Les kachkaïs sont d'ailleurs bilingues, parlant un dialecte dérivé du turc et le farsi.

     

    Minorité ethnique et linguistique, les kachkaïs ne sont cependant pas officiellement reconnus comme telle du fait qu'ils suivent le rite chiite musulman, et seules les minorités religieuses ont des droits spécifiques en Iran (à savoir les religions du Livre que sont le christianisme, le judaïsme et le zoroastrisme). Suivant la religion officielle de la République Islamique d'Iran, les kachkaïs sont traditionnellement assez bien acceptés par le régime, contrairement à d'autres tribus nomades telles que les kurdes, les baloutches ou les arabes, qui eux sont sunnites.

     

    L'Iran a historiquement une grande tradition nomade, et au XIXe siècle, environ un quart de sa population n'était pas sédentarisée. Mais au XXe, la montée du nationalisme iranien, la construction d'un État centralisé et les réformes foncières (particulièrement les nationalisations entreprises par le dernier Shah, Muhammad Pahlavi, en 1963), ont forcé une large partie de ces peuples à se sédentariser. Ainsi, une majorité de kachkaïs est aujourd'hui installée dans des maisons en durs, pour la plupart dans les zones rurales, mais aussi à la périphérie des principales villes de Fars, telles que Shiraz ou Eghlid. Reste que malgré ces menaces sur leur mode de vie traditionnel, de nombreuses familles kachkaïs ont réussi à conserver une vie nomade.

     

    Il nous a fallut un peu de temps pour reconstruire nos plans après les péripéties de notre début de séjour en Iran, mais l’exotisme et l'esthétisme qu'induit la vie nomade nous ont décidé à partir à leur rencontre, et malgré le fait que notre temps était plus limité que d'habitude, nous avons pu passer trois jours à leur côté.

     

    Nos quelques recherches pour trouver les kachkaïs, nous ont emmené à Eghlid, ville à 2200 mètres d'altitudes, se trouvant au centre de la longue chaîne du Zagros. Les locaux fars (c'est-à-dire les Iraniens perses, par opposition aux autres minorités ethniques) connaissant l'emplacement des campements kachkaïs, il ne fut pas difficile de se faire déposer à proximité.

     

    Nous sommes donc arrivés dans leurs campements d'été sur lesquels ils se sont établis au début du mois d'avril, et où ils vont rester jusqu'aux mois de septembre ou d'octobre suivant la météo. Durant les cinq mois d'hiver, ils s'installent au sud du Zagros, sur les plaines bordant le Golfe Persique (notamment dans la localité de Farashband, non loin de Buchehr). Leur migration d'été se fait par la route, leurs pickups bleus si caractéristique transportant les tentes et des camions étant utilisés pour les bêtes. Vivant toute l'année sous tente et malgré le fait qu'ils n'empruntent cette route migratoire que deux fois dans l'année, ils doivent être considérés comme nomades et non comme semi-nomades, le semi-nomadisme impliquant de vivre en partie dans des maisons en dur.

     

    Chaque campement est composé d'au moins deux tentes, l'une étant consacrée à la cuisine et l'autre faisant office de salon. S'il est possible de séjourner dans la « tente cuisine » pour manger un bout ou pour discuter pendant la journée, les soirées se passent dans la tente salon à boire du thé et à fumer l'opium (pour les hommes), la télévision, branchée à un générateur, passant un Bollywood. Les campements regroupent en général une famille nucléaire, mais de plus grands campements existent, dans lesquels plusieurs familles vivent en communauté.

     

    La famille est donc le noyau de l'organisation sociale des kachkaïs qui s'insère ensuite dans un ensemble tribal assez complexe. En effet, le terme Kachkaï correspond en réalité à une confédération de dix tribus turciques créée au début du XVIIIe siècle – par exemple celles des Kachkoulis (la plus importante) ou des Chichpoulikis (dans laquelle nous étions) – et dispatchés dans les régions de Fars et d'Isfahan. Ces tribus principales se divisent ensuite en sous-tribus, comme celle des Kolalous, à laquelle les familles que nous avons rencontrées appartiennent. Le système tribal comprend donc quatre différentes strates, la première étant la famille, la deuxième la sous-tribu, la troisième la tribu, et enfin vient le niveau « fédéral », celui des kachkaïs. S'il existe d'autres confédérations de tribus nomades en Iran – telle que la « Confédération des Cinq » ou «Tayafeyah Khamseh » créée à la fin du XIXe –, la Confédération Kachkaï se caractérise par une identité ethnique et linguistique entre ces membres, ce qui n'est pas le cas de celle « des cinq » qui mélange des Lors, des Arabes et d'autres groupes turciques.

     

    Dans cette région semi-aride, les campements, nombreux mais dispersés, se trouvent pour la plupart dans la plaine au pied des montagnes, et parfois à l'abri des regards dans de petites vallées. Cette dispersion permet ainsi à chaque famille de disposer d'un espace suffisant pour faire paître leurs troupeaux de chèvres et de moutons.

     

    Car en effet, étant des pasteurs-nomades, le troupeau est au centre de la vie et de l'activité des kachkaïs. Comme l'explique André Bourgeot, le pasteur (qui se distingue de l'éleveur, en ce qu'il n'a recours qu'à des ruminants, ovins et/ou bovins) est celui qui « utilise la et les ressources que recèle la nature par l'intermédiaire de l'animal ». Les kachkaïs exploitent donc les fourrages qui poussent sur les pâturages par l'intermédiaire de leurs animaux, ces derniers leur fournissant ensuite les produits nécessaires à leur subsistance. Ces produits sont principalement constitués de petits nés pendant l'hiver pouvant être revendus (environ 250000 tuman, soit 50 euros), du lait produit par les femelles, et de la laine (qu'ils filent eux-mêmes, et dont ils se servent pour confectionner de précieux tapis). Or, si nous avons assisté à la traite, au filtrage du lait, à la cuisson et au séchage de petites boulettes de fromage sec (très appréciées des iraniens) ainsi qu'au filage de la laine (à l'aide du dogloun), nous n'avons pas eu la chance d'assister au travail des tapis (alors même qu'ils sont grandement réputés pour leur tissage des tapis), la tribu dans laquelle nous avons séjourné ne s'adonnant pas à une telle activité...

     

    Par ailleurs, les kachkaïs sont particulièrement adaptés à la vie en zone aride et semi-aride et participent à la préservation de la biodiversité de l'environnement dans lequel ils vivent. De manière générale, c'est la mobilité de leur mode de vie qui crée cette harmonie avec la nature, permettant à cette dernière de se régénérer sans jamais atteindre un état d'épuisement. Plus précisément, le troupeau, au-delà de son rôle d'intermédiaire dans l'exploitation des ressources naturelles, permet à la végétation de se renouveler, transportant les graines de certaines espèces végétales et fertilisant la terre.

     

    Cependant, selon une étude menée par l'Organisation des Nations-unies pour l'alimentation et l'agriculture (dans le cadre des recherches menées par l'organisme onusien Système ingénieux agricole du patrimoine mondial), l'accès coutumier des kachkaïs à leurs pâturages est actuellement menacé par les politiques agricoles iraniennes, les autorités voyant le pastoralisme comme un frein au développement économique, et les terres étant plutôt distribuées à des investisseurs privés.

     

    Notre temps passé avec les nomades kachkaïs fut donc une expérience nouvelle et particulièrement enrichissante. Un sentiment de liberté, une fierté et une beauté assez fascinante émane d'eux (un peu à la manière de nos Roms) et le calme et la spiritualité qu'ils dégagent (alors même qu'ils ne sont pas très religieux) rendent leur compagnie très agréable, notre actuel mode de vie nomade créant également une certaine complicité entre nous. Nous nous attachâmes assez à eux pour que le départ fut plus difficile qu'à l'accoutumé.

     

    Mais malgré le charme de planter notre tente à côté des leurs, la vie dans les campements fut pour nous assez dure, et nous sommes rentrés bien fatigués de ces trois jours avec les nomades kachkaïs. Et avec un peu de recul, c'est d'ailleurs leur capacité à vivre de manière rudimentaire dans des zones où les conditions climatiques sont particulièrement rudes qui nous aura le plus impressionné. Le fait que l'utilisation de l'eau soit méticuleusement gérée et qu'ils doivent aller remplir des bidons à un puis qu'ils se partagent lorsque les réserves sont épuisées en est un exemple. D'ailleurs, selon certaines études (dont celle précitée), les kachkaïs ont accumulé un savoir d'une grande valeur en matière de vie en zone aride, qui pourrait être utile à d'autres populations vivant dans des zones similaires.

     

    Finalement, ce temps passé avec eux nous aura aussi montré que l'Iran est bien plus que le pays des perses. C'est un territoire au sein duquel vivent de nombreuses minorités ethniques (entre 40 et 50% de la population), et notamment nomades. Notre séjour raccourci dans le pays nous a donc empêché d'approfondir cette facette de l'Iran, et nous n'avons pu que l'effleurer, en partant rencontrer ces nomades turciques. Mais si nous revenons, nous irons probablement voir les nomades kurdes et les baloutches qui vivent à l'Est du pays dans le mythique Khorassan...

     

    Les Kachkaïs

     

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